Références
« En 1944, sous une pluie de bombes qui s'abattaient sur l'Europe centrale, deux wagons plombés roulaient de la Roumanie vers la Suisse. Malgré la destruction des voies et des frontières hermétiquement fermées, les wagons arrivèrent miraculeusement intacts à Berne. Ils ne contenaient pas du tout comme l'indiquaient les lettres-de voitures, des « meubles et objets d'ameublement » : une des plus belles et des plus importantes collection d'icônes d'Europe fut par cette voie sauvée...Le Suisse Albert Rieder avait amassé ces icônes pendant des années… »*
C'est avec ces quelques phrases que André Deguer commence son catalogue en quatre langues du Musée Rieder à Morcote, près de Lugano. Deguer n'est pas spécialiste d'icônes, mais durant plusieurs pages, il conte l'histoire d'un homme peu ordinaire, devenu par amour de l'art un des premier collectionneur suisse d'icônes. Sa vie romanesque est remplie de bonheurs et de malheurs qui se poursuivent parfois avec une cadence frénétique.
Albert Rider est né dans un village près de Berne, au tout début du XXe siècle, dans une famille de paysans. Vers 16 ans, il part à Lucerne pour apprendre un métier. Ce qui l’intéresse avant tout ce sont les fleurs. De jardinier à pépiniériste, de fleuriste à bouquetier, de Lucerne à Freising près de Munich et de Freising à Berlin, ses efforts, sa ténacité et ses qualités d'esthète vite remarquées font que Rieder poursuit avec brio sa carrière ascendante qui finalement le mène à la cour de Roumanie. Le goût très sûr de Rider et l’originalité de ses décors est la raison pour laquelle il est invité à s’occuper des décours floraux du palais royal. L’ascension ne dure pas longtemps. Des intrigues à la cours le propulsent de nouveau dans la rue. Et de nouveau, il doit lutter contre la faim jusqu'au moment où il aura un des magasins de décoration les plus chers et le plus en vogue à Bucarest. Entre-temps il a déjà commencé à acheter des objets d'art et des icônes. Pourquoi son goût penche vers un art relativement fermé et qui ne fait aucunement partie de la culture de sa prime enfance, le comprend-il ou s'agit-il juste d'une intuition? nous ne le saurons jamais. Toujours est-il que chaque fois qu'il y a un peu d'argent il achète.
En automne 1940. La guerre commence pour la Roumanie. En 1943, les Alliés bombardent le pays. Un an plus tard, de nouveaux bombardements sévères endommagent sérieusement la ville de Bucarest. Le magasin d'Albert Rieder est détruit. Les icônes qui se trouvaient dans sa maison luxueuse en périphérie de la capitale sont sauves. Il décide alors de les envoyer en Suisse. Il charge deux wagons, définit la cargaison comme étant des meubles. Après plusieurs péripéties le dernier train de marchandise quitte le pays. En ce qui concerne Albert Rieder, il ne peut quitter la Roumanie qu'en 1950. Il arrive en Suisse, habite au départ chez sa sœur et deux ans plus tard, avec l'aide de la famille, il achète une grande maison à Morcote, près de Lugano. Au bout de deux ans d'un travail acharné, il réussi à installer dans cette maison située au milieu d'un magnifique jardin le Musée Rieder qui abrite toute sa collection. Des icônes, des objets liturgiques, des tissus, des pièces d'argenterie et des objets de la vie quotidienne s'y côtoient. Des personnages illustres comme le roi Michel Ier de Roumanie et sa femme la princesse Anne de Bourbon-Parme, le président de la République fédérale d'Allemagne Theodor Heuss et d'autres visitent les lieux. Malheureusement, le musée est très mal indiqué par la ville de Lugano et les visiteurs très peu nombreux, les finances commencent cruellement à manquer. Rider décide de vendre les trois pièces les plus chères pour sauver le reste de la collection. C’est de cette façon que les trois icônes roumaines, dont nous vendons aujourd'hui deux, la troisième étant dans une collection suisse, sont vendues en 1966 à Darmstadt. Elles sont achetées à cet époque par un riche éditeur lucernois Schweitzer. Malgré tous ses efforts, Rider n’arrive pas à subvenir aux charges de son musée et peu de temps après la vente de Darmstadt, il est obligée de le fermer. Il donne une partie de sa collection au musée de Lugano (la moins importante) où elle se trouve (dans les dépôts) encore. On peut y voir aussi deux portraits de Rider peint par un peintre inconnu.
Le reste de la collection est acheté par le même éditeur qui a acheté les trois icône roumaines à Darmstadt. Schweitzer acquiert les icônes dans le but d’ouvrir lui-même un musée. Mais les affaires de l’édition sont de plus en plus difficiles, les finances manquent. Schweitzer n’arrive jamais à ouvrir son musée d’icônes et en 1978, il est obligé de disperser sa collection en vente publique organisée par la maison Fischer à Lucerne. Les trois icônes sont achetées par le même collectionneur privé qui a ensuite revendu à un autre collectionneur les deux icônes proposées aujourd'hui dans cette vente aux enchères.
La Déisis et Saint Jean Baptiste sont aujourd'hui probablement uns des exemples les plus remarquables de l'art de la Moldavie de la fin du XVIIe – début du XVIIIe siècle. La présence puissante des personnages, l'expression marquée de leur visage sortent de la banalité. On y remarque une forte influence occidentale tout en respectant les canons de l'art orthodoxe. Cet art est étroitement lié avec Constantin Brâncoveanu. D'après Lilia Evseeva, ces icônes proviennent de l'église de saint Elija à Câmpulung.
* . André Deguer, Museo Rieder, Ikonen, Icons, Icônes, Icone, Munich, 1962
Les icônes ont été publiées dans :
1. André Deguer, Museo Rider, Ikonen, Icons, Icônes, Berghaus Verlag,
2. Luzerner Ikonen Zamlung, Kunsthalle Darmstadt, 1966, N°N°8, 14, 58.
3. Les icônes dans les collections suisses, cat. Exposition, Genève, 14 juin – 29 septembre 1968, Manolis Chatzdakis, Vojislav Djuric, N°N° 196, 198, 199.
4. Konrad Onasch und Annemarie Schnieper, Ikonen, Faszination und Wirklichkeit, Herder, Freiburg, Basel, Wien, 1995, p. 61, l’icône représentant la Vierge flanquée des deux archanges. Les deux autres icônes se trouvant à cette époque dans une collection privée n’ont pas pu être publiée.
5. A history of icône paiting, Lilia Evseeva, ...Moscou, 2005, p.207.